PIERRE JOURDE

06 JUIN 2012 – PIERRE JOURDE (BLOG NOUVELOBS)

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Eloge du populisme

Il y a beaucoup de livres politiques, mais bien peu qui présentent une vision originale sur la politique. En revanche, Eloge du populisme, de Vincent Coussedière, qui vient de paraître aux éditions Elya (collection «Voies nouvelles , renouvelle de fond en comble l’analyse politique de la France depuis la Libération. Que l’on partage ou non ses analyses, le livre de Vincent Coussedière oblige à remettre en cause les idées reçues, les vieilles habitudes intellectuelles, les certitudes faciles. Il a aussi ce mérite, et, il faut le dire, ce courage ne pas suivre l’ornière de la sempiternelle division droite et gauche. Il est clair, souvent percutant, même s’il s’enracine dans une solide culture sociologique et philosophique.

A la base de la pensée politique de Coussedière, il y a une relecture de l’œuvre de Gabriel Tarde, concurrent un peu oublié de Durkheim, mais qui suscite aujourd’hui l’intérêt d’un Peter Sloterdjik. Tarde permet à Coussedière de définir le peuple par la sociabilité, et de s’opposer résolument à toute conception identitaire du peuple, ainsi qu’aux conceptions marxistes, dont il fait une variante de la conception identitaire, puisque le marxisme repose sur une identité de classe, élevée au rang de principe transcendant, tout comme l’identité de race. Il suppose une appartenance qui détermine à l’avance la finalité de l’action politique.

Loin de ces modèles, est un peuple un ensemble d’individus formés par l’histoire et la géographie à des pratiques d’imitations, d’assimilation mais aussi d’innovation. Reste que le populisme est surtout un conservatisme, l’attachement, non pas à une identité, mais à des pratiques, à des modèles, à des coutumes, et surtout à la liberté de les suivre ou non. Les modèles identitaires sont au contraire des modèles purement régressifs, qui naissent d’une réaction de peur et de lassitude face à la  liberté.

C’est également en s’appuyant sur Tarde que Coussedière tente de montrer la voie qui permettrait de résoudre l’insoluble problème de l’opposition entre démagogie identitaire et technocratie, entre fragmentation individualiste ou communautariste et omniprésence de l’Etat qui mine les sociétés développées.

Le peuple, dans ces sociétés, ne se reconnaît plus dans ses représentants, ni dans la traduction médiatique qui est donnée de ses problèmes. Inversement, les élites intellectuelles et politiques ne comprennent rien à la réalité du peuple. Le mot «populisme» leur sert de repoussoir, ils l’emploient dans une acception péjorative, pour désigner ce qui est en réalité la démagogie identitaire.

Mais, pour Coussedière, le populisme n’a rien à voir avec la démagogie identitaire, il est la reconnaissance des véritables aspirations du peuple. L’un des malheurs de la démocratie réside dans cette confusion systématique, qui, en rabattant populisme sur démagogie, creuse l’écart entre le peuple et sa représentation politique. On l’a vu avec le référendum sur la Constitution européenne. Les politiques ont tout fait pour ne pas tenir compte du « non » français. Le peuple ne convenant pas, il faudrait changer de peuple. 

L’une des questions emblématiques de cette confusion entre démagogie identitaire et populisme est celle de l’immigration. Pour Coussedière, il n’y a globalement, dans le peuple français, aucun rejet de l’étranger sur des bases identitaires. Il y a en revanche rejet des coutumes qui «s’avèrent incompatibles avec la sociabilité à laquelle on tient». D’où le problème de l’islamisme: celui-ci tend à codifier l’ensemble des comportements dans la sphère privée et publique, c’est-à-dire à refuser tout compromis sur lequel construire une sociabilité commune. Au peuple, construction d’un espace commun par imitations et échanges, l’islamisme oppose la communauté des croyants.

Coussedière rend l’idéologie «gauchiste» responsable au premier chef de la dégradation du lien entre le peuple et sa représentation politique. Le gauchisme est pour lui le remède à la maladie sénile du communisme, «l’adaptation du marxisme à l’absence de classe et de conscience de classe». 1968, avènement du gauchisme, est à ses yeux un «événement publicitaire», qui a donné lieu à une véritable mythologie permettant d’en masquer la signification réelle, c’est-à-dire la négation du peuple. Il s’agit à la fois, dans l’idéologie de 68, de «demander à la communauté de reconnaître la particularité de chacun».

Si l’idéologie gauchiste française a eu tant de succès sur les campus américains, c’est, pour l’auteur, que les intellectuels y sont radicalement séparés de la société civile. En outre, elle trouve son accomplissement dans la charte européenne des droits de l’homme, qui remplace le citoyen responsable par un individu abstrait qui n’a que des droits. «La loi devient le garde-fou des identités». La dissolution du politique, du peuple a laissé la place à la prolifération des communautés identitaires réclamant leurs droits.

Le Pen est un entrepreneur identitaire parmi d’autres. Son fonds de commerce est l’identité nationale, la seule forme d’identité considérée comme inacceptable dans cette prolifération des identités (sexuelle, religieuse, régionale, etc.). Mais globalement Le Pen échoue car le peuple ne se reconnaît pas dans l’identité nationale, mais dans une sociabilité partagée.  En revanche, l’état est devenu, comme le dit Marcel Gauchet, «le gestionnaire des identités».

Certes, l’analyse serrée que mène Coussedière de 68 est à la fois démystificatrice et ravageuse. Elle le range, sur ce point, aux côtés d’un Houellebecq ou d’un Philippe Muray. On ne peut pas s’empêcher de se dire que, tout de même, du point de vue des libertés, et de l’explosion culturelle qui a suivi, 68 a été un événement positif.  

Coussedière se réfère au désastre de 1940, et à la Résistance, populisme qui a permis de refonder l’alliance du peuple et de la politique. Il appelle à une nouvelle forme de Résistance contre ce qu’il voit comme un nouvel effondrement: de même que Vichy a livré le pays aux Allemands, «la classe politique livre aujourd’hui le pays à une Europe sous la coupe des communautarismes et des oligarchies financières». Il en appelle, contre l’alliance du technocrate et du démagogue, qui tous deux méprisent le peuple, à un «grand homme», à un nouveau de Gaulle.

Bien des choses à discuter, comme on voit, mais il faut lire ce livre tendu, dense, qui a le mérite de bousculer complètement les vieilles habitudes de la pensée politique.

Pierre Jourde

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