Ce peuple qui tambourine à la porte - Eric Zemmour

Le Figaro | Ce peuple qui tambourine à la porte | Par Eric Zemmour 

Publié le 24/03/2016 à 08h21

Le retour du peuple. AN I. Vincent Coussedière, Cerf, 235 p., 19€.

LA CHRONIQUE D'ÉRIC ZEMMOUR - Le populisme n'est pas ce que l'on dit ni ce que l'on croit. Mais il implique le grand retour du peuple pour une version nationale de la République. Un retour aux sources délicat.

Le populisme aux États-Unis. Le populisme en France. Le populisme en Allemagne. Le populisme en Hollande. Le populisme en Hongrie. Le populisme en Pologne. Le populisme en Russie. Les populismes se suivent et ne se ressemblent pas forcément. Mais sont tous appelés populismes. Tous dénigrés, méprisés, ostracisés. «Le populisme, c'est mal et dangereux», pourrait-on écrire, pour parodier le célèbre Dictionnaire des idées reçues de Flaubert. Le premier livre de Vincent Coussedière s'intitulait Éloge du populisme. Celui-ci: Le Retour du peuple. C'est ce qui s'appelle creuser son sillon. Dans son premier ouvrage, notre auteur nous avait déjà expliqué que «les populismes européens, quelle que soit la crédibilité de leurs leaders, sont l'entrée en résistance des peuples européens contre leur destruction programmée». Dans le second, il tente de définir les conditions philosophiques et politiques de cette résistance. Pour cela, il ne doit pas se tromper d'ennemis, et décrit une France prise entre le marteau du multiculturalisme et l'enclume de l'islamisme. Le multiculturalisme, produit de la mondialisation sous hégémonie américaine, qui détruit les peuples européens en les transformant en un agrégat inconstitué de consommateurs individualistes ; l'islamisme, qui profite de cette désagrégation pour imposer sur ces terres devenues sans peuple une nouvelle nation: «Une immigration de peuplement, cela veut dire que les migrants ont réussi à transporter avec eux leur propre peuple.» D'où l'erreur majeure - et pourtant si commune - de mettre dans le même sac islamisme et populisme.

Alors, quelle est la solution? La République, nous dit Coussedière. Non, ne fuyez pas! Pas la République de Valls ou de Hollande. Ni la République de Sarkozy. Pas la République de Mélenchon ni de Cambadélis. Pas la République des antiracistes professionnels. Ni même la République de Chevènement, et de ses esprits brillants, de Régis Debray à Jacques Julliard, voire jusqu'à Alain Finkielkraut, qui ont tenté depuis les années 1980 d'élever un barrage républicain contre la vague de la mondialisation libérale qui submergeait tout. Coussedière les accuse d'être au fond d'eux «restés des socialistes défroqués» et de s'en être tenus à une «vision idéaliste, purement juridique et politique (de la République), axée sur la figure abstraite du citoyen». Nos républicains étaient avant tout des hommes de gauche. Ils craignaient par-dessus tout de ressusciter les démons nationalistes. Ils ont évité comme la peste les mots piégés, «France», et surtout «peuple». Ils ont, avec raison, dénoncé la perte de «souveraineté de la nation», dans les méandres européens ; mais ils n'ont pas compris que l'essentiel était ailleurs, dans les «mœurs» du peuple, dans sa sociabilité, qui seule forge la nation.

Alors, pour mieux montrer leur erreur tragique, notre auteur nous balade aux origines de la République, de Rousseau à Péguy, de Tarde à Fouillée, lorsqu'il était évident que celle-ci était d'abord une nation et un peuple. Un peuple dont on héritait par la naissance, mais aussi auquel on s'assimilait, par les lois de l'imitation chères à Gabriel Tarde. «Mais ne nous flattons pas de conserver notre liberté en renonçant aux mœurs qui nous l'ont acquise», disait Jean-Jacques Rousseau, en écho à tous ceux qui n'ont que le mot République à la bouche, pour mieux éviter le mot France.

Coussedière prouve que le « populisme » n'est que le retour du refoulé national. Et donc républicain

Ce lien indéfectible entre République, Peuple et Nation, est ce qu'ont oublié nos contemporains. On a tout fait pour qu'ils l'oublient. Pour qu'ils y renoncent. Pour qu'ils se rabattent sur une version socialiste de la nation (la lutte des classes) ou libérale (les droits de l'homme). Coussedière démonte la supercherie: «On se trompe complètement lorsqu'on entend opposer la République au communautarisme en faisant fond sur l'individu et sa liberté. On confond ainsi la République et son recouvrement idéologique par le libéralisme.»

C'est la partie la plus neuve et la plus utile du livre de Coussedière. Qui prouve que le «populisme» n'est que le retour du refoulé national. Et donc républicain. Mais la partie qui prête aussi le plus à confusion. Car il emploie des mots usés jusqu'à la corde, retournés, dévitalisés. Piégés. Et d'abord et avant tout celui de République. Notre auteur tente de se frayer un chemin entre «la nation purement civique» (celle des citoyens, individus qui se définissent par leur liberté individuelle) et une nation purement identitaire (celle des siècles passés et du droit du sang). Il a tout pour lui, l'histoire de France, Ernest Renan, la justice. Mais il n'a pas choisi la solution de facilité. Comment rétablir des «mœurs» françaises méthodiquement détruites par quarante années de consumérisme mondialisé et de société du spectacle? Comment reconstituer un peuple français conscient de son appartenance à la même nation? Comment assimiler par l'école, alors que «ce n'est pas seulement l'école qui crée l'assimilation mais l'assimilation préalable à l'école d'un minimum de mœurs et d'opinions communes qui crée la possibilité de l'école» ?

Comment «tendre la main aux musulmans sur la base des mœurs françaises», comme il le souligne, en réponse au dernier livre de Pierre Manent, alors même, Coussedière le reconnaît, qu'il n'existe plus guère aujourd'hui d'islam national, mais partout des variantes de l'islamisme produit et répandu sur la planète par l'Arabie saoudite?

Ultime paradoxe qui brouille encore les cartes: au moment où le populisme s'impose comme le grand retour du peuple en tant que peuple, le Front national - qui en fut longtemps son principal porte-parole politique - est en train de basculer du «nationalisme identitaire du père» vers un «nationalisme civique républicain plus proche du chevènementisme de la fille». Incroyable faute de temps de dirigeants qui se convertissent au républicanisme des élites au moment où le «républicanisme du peuple» s'affirme. Si cette évolution se confirmait, le populisme serait, plus que jamais, selon la belle définition de notre auteur, «le parti des conservateurs qui n'ont pas de partis». Et l'impasse politique serait totale.

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