L'ISLE LETTRÉE

L'ISLE LETTRÉE

Un roman de lettres / Traduction de : Ella Minnow Pea - a novel in letters
  • 20,00 €
Auteur : 
Editeur : 
Collection : 
Genre / Thème : 
Traducteur : 
Public : 
Date de parution : 
Mai 2013
Isbn : 
979-10-91336-03-1
Dimensions : 
240 × 160 × 19 mm
Poids : 
375 g
Nombre de pages : 
224
Statut : 

Description de l'éditeur (quatrième de couverture) :

Dans ce roman épistolaire, Mark Dunn transporte le lecteur sur l’île imaginaire de Nollop, du nom de l’auteur du fameux pangramme : « Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume. »

L’île est un lieu idyllique, où les Nollopiens cultivent les arts et vouent une quasi-vénération à la langue. Or la chute d’une tuile (celle portant la lettre « Z ») du monument funéraire qu’ils ont érigé en l’honneur de Nevin Nollop et de son illustre phrase entraîne une séquence d’événements qui menacent les fondements mêmes de l’État nollopien. Le Haut Conseil insulaire y voit une injonction à cesser toute utilisation de la lettre « Z », puis de celles qui tour à tour tombent du monument, contraignant l’héroïne Ella Minnow Pea et sa famille, ainsi que tout le reste de la communauté, à vivre en état de siège linguistique. Les livres sont détruits. Les journaux arrêtent de publier. Les citoyens sont publiquement fouettés ou mis au pilori, leurs biens sont confisqués et leur vie ruinée, pour le simple fait d’avoir commis une ou plusieurs infractions.

Avec l’aide de Nate Warren, un chercheur de Caroline du Sud, les habitants décident alors de se révolter contre le Conseil et de le renverser en créant un pangramme encore plus court et donc plus éblouissant que celui pour lequel Nollop fut élevé à un statut divin.

Mais pourront-ils y arriver avant que le langage et la totalité de la société telle qu’ils la connaissent ne soient irrémédiablement perdus ?

La réponse pourrait bien être dans ce texte étonnant qui évoque un exercice à la Perec dans une ambiance orwellienne !

 

Extrait (première lettre de Ella Minnow Pea à sa cousine Tassie) :

Pages 15 à 20.

NOLLOPTON
Le dimanche 23 juillet

Chère cousine Tassie,
Merci pour tes adorables cartes postales. J’espère que toi et tante Mittie fîtes un agréable voyage et que vos amis et parents du côté paternel qui habitent sur le continent sont bien portants et heureux.
Beaucoup de choses se sont produites pendant votre séjour d’un mois à l’extérieur de l’isle. Peut-être vos voisins au Village vous l’auront-ils déjà appris. Ou alors, vous parcourûtes peut-être l’une des éditions de La Tribune de l’Isle qui se seront sans nul doute accumulées sur le pas de votre porte. Toutefois, je présumerai, selon l’hypothèse la plus sûre, que vous n’êtes toujours pas informées dans le détail de certains événements décisifs survenus au cours des derniers jours (recluses comme vous l’êtes, toi et ta mère, dans votre petit recoin paisible et champêtre de notre isle paradisiaque); je vous informerai donc des principaux faits qui se rapportent auxdits événements. Toute cette histoire vous apparaîtra pour le moins intéressante, j’en suis persuadée.
Le lundi 17 juillet, quelque chose de très intriguant se produisit sur la Place centrale : l’une des tuiles du haut du cénotaphe se détacha et tomba au sol, se brisant en plusieurs morceaux. Une jeune fille d’ici, une certaine Alice Butterworth, découvrit la tuile tombée au pied de la statue, recueillit soigneusement les pièces et les éclats, puis les porta rapidement aux bureaux du Haut Conseil Insulaire. La petite Alice remit ces fragments entre les mains du président du Conseil, Son Excellence Gordon Willingham, qui convoqua rapidement cette noble instance pour la tenue d’une séance d’urgence aux fins d’élucider l’intention ou le dessein à l’origine de ce désattachement soudain et inattendu.
C’est ainsi que ce glanage en apparence anodin prit rapidement une ampleur démesurée.
Beaucoup en ville assistèrent à cette réunion importante. Olive, que mon corps de blanchisseuses avait désignée comme représentante et observatrice du fait qu’il y avait, ce jour-là, suffisamment de travail à la blanchisserie pour occuper un contingent presque complet de travailleuses, revint beaucoup plus tard que prévu pour nous faire son rapport sur ce qui s’était dit lors de la longue séance du Conseil et en particulier sur ce qui se rapportait à la question et affaire susmentionnées.
Je dois avouer que nous restâmes plutôt perplexes devant la réaction initiale du Conseil à la suite de l’incident, que la plupart d’entre nous considéraient comme le simple fruit du hasard. Le Conseil, quant à lui, cherchait avec zèle et empressement à comprendre quel signe ou intention se cachait derrière ce décrochage ; aussi, après avoir recueilli plusieurs explications possibles, les membres du Conseil se retirèrent-ils prestement en séance à huis clos pour délibérer solennellement et rendre une décision.
Ce faisant, Son Excellence Willingham et les quatre autres membres du Conseil ne laissèrent que peu de place à la possibilité que le carreau fût tombé tout simplement parce que l’agent fixateur, quel qu’il fût, pût, après cent ans, avoir tout bonnement cessé d’exercer sa fonction. Cette explication nous semblait tout à fait logique à moi de même qu’à mes collègues blanchisseuses, à la seule exception d’une certaine Lydia Threadgate, laquelle porte le Conseil aux nues depuis qu’elle en a reçu un don de bienfaisance et ne saurait, par conséquent, se laisser convaincre par une simple dose de notre logique pragmatique et terre à terre.
Au bout du compte, nos impressions et opinions pesèrent – et continuent de peser – bien peu dans la balance, et nous gardâmes autant que possible nos spéculations pour nous de peur de subir des représailles du gouvernement, tellement nos estimés sages conseillers (et sage conseillère) de l’isle sont devenus perclus de méfiance et de suspicion depuis la malheureuse visite, l’an dernier, de cette armada prédatrice de spéculateurs fonciers en provenance des États-Unis, laquelle nourrissait le dessein de faire de notre magnifique isle, notre Shangri-La, un centre de villégiature dénaturé pour des paquebots de croisière américains.
Le Conseil s’étant reclus en haute conférence pour les quarante-huit heures suivantes, la brigade des planches à laver fit au moins deux pèlerinages à la Place centrale pour y contempler le cénotaphe fort révéré et la ressemblance statuaire – quoique érodée par le sel et les vents marins – de notre très vénéré M. Nevin Nollop, l’homme en l’honneur de qui cette nation insulaire fut affectueusement nommée de même que l’homme sans qui ce modeste islot de sable et de palmiers nains occuperait une place dérisoire dans les annales de l’histoire du monde. Nous autres, citadins, ressentons une grande fierté, tout comme vous et vos concitoyens, sans doute, dans vos vertes collines vallonnantes au Nord de la ville, une immense fierté pour l’homme et son legs, lequel est immortalisé par un fleuronceau de mosaïque qui couronne le piédestal sur lequel se tient son jumeau de bronze : PORTEZ CE VIEUX WHISKY AU JUGE BLOND QUI FUME. Évidemment, sans la tuile portant la lettre « Z », le mot initial, « portez », se lit maintenant « porte* ».
Ô combien le monde serait différent aujourd’hui si ce n’était de cette phrase forgée par le lexicalement doué M. Nollop ! Comme nous chérissons sa contribution remarquable à la francophonie par le don de cet alexandrin qui utilise chacune des vingt-six lettres de notre alphabet tout en ne contenant qu’une seule occurrence de chaque consonne !
Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume.
Pour cet exploit, M. Nollop ne méritait rien de moins que le Nobel, mais il ne reçut, comme tu dois en avoir souvenance de la classe de Mme Calliope sur l’histoire de l’isle, que bien peu d’honneurs au-delà de ces rivages qui nous sont familiers. Toutefois, tu te rappelleras que nous compensâmes le manque de reconnaissance internationale en lui érigeant ici cette imposante statue. Et lorsque les éloges vinrent – à titre posthume, hélas –, ce ne fut qu’ultimement et finalement par la gratitude des multypographitudes.
Papa se porta volontaire pour réparer la tuile et la retourner à sa place légitime. Son offre fut sommairement rejetée. Se vit également rejetée une offre des membres de la Guilde des maçons de restaurer le monument entier pour lui redonner son lustre et sa beauté éclatante d’antan, une telle restauration devant inclure le décrochage prudent de chacune des trente-six tuiles centenaires restantes, suivi de leur raccrochage.
En somme, le Conseil ne voulut accepter aucune offre ou suggestion que ce fût qui ressemblât de près ou de loin à ces propositions. Dans les termes de la maîtresse du Conseil La Greer Houston, « il y avait, sans aucun doute, un dessein à cette chute : cet événement constituant, à mon avis, une manifestation terrestre de vœux émanant de M. Nollop. M. Nevin Nollop nous parle d’outre-tombe, compatriotes nollopiens. Nous allons donc ouvrir l’oreille, discerner ses intentions et agir de manière à respecter ces vœux ».
Le mercredi 19 juillet, le Conseil, après avoir amplement élucidé et discerné, rendit son verdict officiel : la chute de la tuile portant la lettre « Z » constitue la manifestation terrestre d’un désir empyréen de Nollop, ce désir étant très certainement que la lettre « Z » fût totalement excisée – complètement retirée – parfaitement sabrée de notre vocabulaire commun !
Dorénavant, l’utilisation de cette lettre possiblement superflue – la vingt-sixième, plus précisément – sera bannie de tous les discours de l’isle, tant oraux qu’écrits. C’est ainsi que M. Nollop aurait choisi de récompenser les insulaires qui le portent, lui et son génie, au plus profond de leur cœur : en émettant cette directive, comme s’il fût, pour ainsi dire, assis bien droit sur son cercueil, et en nous ordonnant de communiquer uniquement au moyen des vingt-cinq lettres qui restent.
Et nous, ses serviteurs reconnaissants (au service de la mémoire de sa grandeur), furent sommés par le Haut Conseil d’obéir. Sous peine de sanctions à déterminer par le Conseil précité.
Le vendredi 21 juillet, lesdites sanctions furent décidées comme suit : pour l’infraction consistant à dire ou écrire tout mot contenant la lettre « Z » ou être trouvé en possession d’une communication écrite contenant cette lettre, une personne recevra, pour une première offense, une réprimande verbale servie publiquement soit par un membre de la Brigade d’Application de la Loi (communément appelée, avec une affection toute tremblante, la BAL) ou par un auxiliaire civil. Pour une deuxième offense, les récidivistes se verront offrir le choix entre la souffrance corporelle de la flagellation et l’humiliation publique du pilori sur la place (ou, dans votre cas, aux communes du village). Pour une troisième offense, les infracteurs seront bannis de l’isle. Le refus de quitter les lieux et d’obtempérer aux ordres du Conseil sera sanctionné par la peine de mort.
La mort.
Ma chère cousine Tassie, je ne pouvais en croire mes oreilles – en fait, je n’arrive toujours pas à y croire – et pourtant tout ceci est effroyablement vrai. J’eusse préféré que la petite Alice portât les miettes de cette terrible tuile à l’un de nos maçons sous le couvert de l’obscurité et l’eût fait réassembler et rattacher au monument, sans que personne ne le sût !
Et pourtant, en vérité, il y a des instants – fugitifs instants – pendant lesquels je caresse l’idée qu’il existe peut-être un mince fil de probabilité que le Conseil ait interprété l’événement correctement. Qu’aussi saugrenu et ridicule que cela puisse paraître, la tuile tombée soit effectivement une communication de notre très honoré et vénéré M. Nollop. Qu’en ce moment même, Nevin Nollop soit véritablement en train de nous dire exactement ce que croit unanimement le Conseil (car je comprends que ses cinq membres partagent clairement le même avis). Qu’ayant été absent de la vie de ses compatriotes insulaires depuis maintenant cent sept ans, le Grand Nollop se réveille aujourd’hui brièvement de son éternel repos afin d’examiner notre langage et l’usage que nous en faisons et que, ce faisant, il nous réveille de notre propre complaisance indolente en prélevant cette lettre qui ne revêt qu’une importance marginale pour nous. Les chances que cette interprétation soit vraie sont bien réelles, bien qu’elles soient, je te le concède, ma chère cousine, assez microscopiques. Car, à l’exception de l’utilisation de la lettre en référence à elle-même et de son emploi dans le mot « portez » qui commence le célèbre pangramme, je n’ai jusqu’à maintenant découvert, en analysant le texte de cette missive qui t’est destinée, que trois maigres usages : dans les mots « zèle », « bronze » et « assez ». Aurais-tu perdu le sens de mes propos eussé-je choisi d’y substituer les mots « fervitude », « airain » et « plutôt » ? Qu’avons-nous donc perdu, ma chère Tassie, je te le demande ? Bien peu. Et tu pourras noter qu’un nouveau mot (fervitude) eût été acquis au passage ! Peut-être parviendrai-je à pleinement embrasser ce défi comme les autres se préparent assurément à le faire.
L’édit doit entrer en vigueur sur le coup de minuit, dans la nuit du 7 au 8 août. Dans les jours qui restent, nous sommes autorisés à zipper, zapper et zoomer jusqu’au pur ravissement de notre âme. Maman, Papa et moi organisons une fête ce soir-là pour dire adieu à cette drôle de petite lettre. Je voudrais tellement que tu y assistes, de même que Tante Mittie. Nous allons saluer l’arrivée d’une nouvelle ère. Ce qu’elle nous réserve, je n’en sais trop rien, mais je vais d’abord prudemment lui laisser le bénéfice du doute. Je ne ferme pas la porte à la mince possibilité que telle soit vraiment la volonté de Nollop.

Affectueusement,
Ta cousine Ella

Versions existantes du roman de Mark Dunn :

Version originale :
« Ella Minnow Pea : a progressively lipogrammatic epistolary fable », Mark Dunn. 
- San Francisco : MacAdam/Cage Pub., 2001

Traduction allemande :
« Nollops Vermächtnis : ein langsam überschnappendes Lipogramm in Form eines Briefromans » ; aus dem Amerikan. von Henning Ahrens.
Hamburg : Marebuchverl., 2004

Traduction italienne :
« Lettere : fiaba epistolare in lipogrammi progressivi » ; trad. a cura di Daniele Petruccioli.
- Roma : Voland, 2008

Traduction française / québecoise :
« L'Isle lettrée : un roman de lettres » ; traduit de l'américain par Marie-Claude Plourde.
- Grenoble : Elya Editions, 2013. - (Gymnopédies). - ISBN 979-10-91336-03-1

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