Le Nouveau Syndrome de Vichy
- 18,40 €
Description de l'éditeur (quatrième de couverture) :
Un malaise profond hante l’Europe. D’une part, chacun a conscience que le continent n’est plus à l’avant-garde dans aucun domaine ; qu’il perd de jour en jour du terrain au profit d’autres régions du monde et que son influence et sa puissance décroissent. D’autre part, l’Europe est frappée d’immobilité, dans une large mesure parce que ceux qui vivent dans la prospérité craignent de perdre leurs avantages et leurs privilèges. L’Union européenne est à la fois la cause de ce malaise existentiel profond et la réaction qu’il suscite. Elle vise à satisfaire le désir de la France de demeurer une grande puissance, celui de l’Allemagne d’être autre chose qu’Allemande, et à répondre au souhait des politiques battus aux élections ou retirés des affaires, dans tous les pays, de conserver pouvoir et influence ad infinitum. Elle n’est en fait qu’un gigantesque fonds de pension pour politiciens retraités, ainsi que le râtelier où mange une vaste bureaucratie.
Dans Le Nouveau Syndrome de Vichy, Theodore Dalrymple explore les origines de ce malaise en remontant aux deux grands conflits du siècle dernier et aux effets désastreux, mais explicables, qu’ils ont eus sur la confiance en soi des Européens. À cause de ce passé récent, ceux-ci ne croient plus en rien d’autre qu’en leur sécurité économique personnelle, en l’amélioration de leur niveau de vie, au raccourcissement du temps de travail et aux longues vacances dans des lieux exotiques. En conséquence, ils ne sont pas dans la disposition d’esprit qui leur permettrait de faire face aux enjeux qui se présentent à eux, qu’il s’agisse d’une présence croissante de l’islam ou de la concurrence économique du reste du monde.
Extrait (pages 11 à 15) :
Puisque pareille chose est possible, combien tout ce qu’on a jamais écrit, fait ou pensé est vain ! Tout n’est forcément que mensonge ou insignifiance, si la culture de milliers d’années n’a même pas pu empêcher que ces flots de sang soient versés et qu’il existe, par centaines de mille, de telles geôles de torture.
Erich Maria Remarque, À l’Ouest, rien de nouveau (1)
L’Europe avance d’un pas de somnambule (une fois encore) vers le désastre. Depuis que j’ai écrit ce livre, la situation s’est nettement détériorée. Au mieux, avec de la chance, elle deviendra une grande Belgique, dans laquelle des nations différentes se chamailleront sans cesse, quoique pacifiquement, à propos de ce qui devra être payé à qui, et par qui (en quelle langue ? probablement un jargon anglo-bureaucratique) ; plus vraisemblablement, elle se muera en une grande Yougoslavie, provoquant des antagonismes nationaux et exacerbant les divergences d’intérêts en s’efforçant de les abolir par décret, ce qui n’aboutira finalement qu’à déclencher des éruptions de violence.
L’Europe n’est pas synonyme de paix : elle est synonyme de conflit, et peut-être, au bout du compte, de guerre.
Tout cela n’était nullement inéluctable ni inévitable : c’est le produit des choix d’une classe politique paneuropéenne arrogante, d’une égale médiocrité en tous domaines sauf en ce qui concerne l’étendue de son ambition, et qui est mécontente de l’exiguïté relative des arènes politiques nationales auxquelles, sans l’existence de l’Union européenne, elle devrait se limiter. Elle compte sur l’apathie des populations du continent tandis qu’elle mène à bien son « projet européen », en contradiction avec tous leurs souhaits, du moins quand on leur a permis de s’exprimer sur ce sujet (ce qui est resté rare).
Qu’est-ce au juste que ce « projet européen » ? On nous demande souvent si nous y croyons, mais personne ne dit (ou ne reconnaît) vraiment de quoi il s’agit. Récemment, la question m’a été posée par un journaliste du Soir de Bruxelles, le principal quotidien de Wallonie ; je lui ai promis une réponse s’il m’expliquait en quoi consistait véritablement ce « projet ». Il n’en a rien fait, ce qui signifie (du moins pour autant que je puisse le deviner) soit que c’est un objectif secret que ceux qui complotent pour le promouvoir n’osent avouer tant qu’il ne sera devenu fait accompli * (2), soit qu’il s’agit d’un article de foi impénétrable, un peu comme le paradis promis aux auteurs d’attentats-suicides ou la société intégralement communiste qui devait advenir après la dictature du prolétariat.
De fait, on a souvent l’impression qu’on nous demande de croire au « projet » parce qu’il est absurde – quia absurdum. M. Barroso a bel et bien vendu la mèche lors d’une conférence de presse (3) : il a déclaré que le « projet » était celui de la création d’un empire. Il a ajouté, il faut en convenir, qu’il s’agirait d’un empire d’un type nouveau, ce qui est sans doute vrai : les empereurs y seraient des gens comme lui- même et M. Van Rompuy, et on peut imaginer que cela donnerait un dispositif instable.
Dans un numéro récent du Monde (4), Jürgen Habermas, qui a fondé une carrière magnifique sur son incapacité à s’exprimer avec une clarté acceptable, et illustre bien ce mélange d’abnégation et d’autosatisfaction caractérisant désormais l’attitude nationale dans son pays, vendait lui aussi la mèche (probablement par hasard) : à la fin de son article, il écrivait que, à moins de s’unir, l’Europe serait impuissante, dépassée par l’Histoire. C’est le manque de pouvoir et d’influence que craignent la classe politique européenne et les intellectuels qui la parasitent, pas la guerre. Malheureusement, ceux-ci comme celle-là ressemblent à un physiologiste incapable de faire la différence entre une jambe musclée et une jambe œdémateuse : gonfler n’est pas devenir plus fort.
Récemment (5), le Financial Times rapportait un propos de M. Barroso déclarant que l’Europe avait besoin de son propre ministère des Finances, disposant du pouvoir de fixer les impôts et d’établir les budgets nationaux. Un tel besoin a été suscité par l’adoption de l’euro, dont il est difficile de penser qu’il pourra, à long terme, fonctionner sans une telle institution. Un adepte de la théorie du complot y verrait peut-être la confirmation de l’hypothèse selon laquelle la devise européenne a dès le départ été destinée par ceux qui l’ont conçue à rendre nécessaire la création de ce ministère, puisque les justifications en faveur de la monnaie unique ont toujours été politiques plutôt qu’économiques. En effet, les arguments purement économiques y ont toujours été très largement opposés ; mais ses instigateurs n’avaient pas en tête des questions aussi mineures que celle de la prospérité matérielle des populations de leurs pays respectifs : ils pensaient à l’empire glorieux et puissant qu’ils étaient occupés à fonder.
Face à cette vision séduisante et enchanteresse qu’on leur faisait miroiter, le rôle réservé aux peuples restait quelque peu oublié. Il n’est pas besoin d’être un adepte inconditionnel de la démocratie plébiscitaire pour comprendre qu’il pourrait être judicieux de consulter les gens avant de transformer de façon aussi radicale le cadre politique dans lequel ils vivent (en omettant d’en tenir compte, les dirigeants européens se montrent fidèles à l’esprit, la vision et l’héritage de Jean Monnet, qui ne réservait aux peuples qu’un rôle de figurants dans la pièce européenne qu’il envisageait de mettre en scène).
La probabilité est élevée que le nouvel ordre politique soit cause d’antagonismes nationaux là où il n’en existait pas auparavant. Lorsque les Finlandais s’apercevront que leurs impôts servent à soutenir le niveau de vie des chômeurs portugais, une chose jamais vue dans l’Histoire fera son apparition : la rancœur et l’hostilité finno-portugaise. Ce serait amusant si ce n’était désolant.
La perte de confiance en soi dont souffrent les nations d’Europe, explicable en raison des conditions historiques mais néanmoins unilatérale, associée à un appétit persistant de puissance et d’influence sur la scène mondiale, nous entraîne, et le monde entier avec nous peut-être, vers un nouveau désastre.
Décembre 2012
(1). Traduction d’Alzir Hella et Olivier Bournac, Stock, 1930 (NdT).
(2). En français dans le texte, comme tous les mots et expressions en italique et suivis d’un astérisque (NdT).
(3). Il s’agit d’une conférence de presse donnée en juillet 2007 à Strasbourg (voir http://www.youtube.com/watch?v=-I8M1T-GgRU) [NdT].
(4). Article cosigné par Peter Bofinger, Jürgen Habermas et Julian Nida-Rümelin, Le Monde, 4 septembre 2012 (NdT).
(5). Le 12 septembre 2012 (NdT).
France Culture - L'Hebdo des Idées 15 février 2013 :